Un dîner d’adieu
De Alexandre de la Patellière, Matthieu Delaporte
Mis en scène par Bernard Murat assisté par Léa Moussy
Avec Guillaume de Tonquédec, Lionel Abelanski, Lysiane Meis
Décor par Nicolas Sire
Lumières par Laurent Castaingt
Musiques par Benjamin Murat
Costumes par Emmanuelle Youchnovski
Théâtre du Léman, Genève, Suisse
Produit par Théâtre Edouard VII (producteur, tourneur), Les Productions du Roi Arthur (organisateur)
Représentation du mercredi 13 janvier 2016 à 20h30
Placé en première catégorie (rang J, place 4)
Payé 0.00 CHF (invitation)
Eric Elmosnino ayant été remplacé au dernier moment par Lionel Abelanski pour partir en tournée, il n’existe pas de photos de la distribution actuelle, d’où cet article sous-illustré ne montrant que les deux autres acteurs…
[photo de Emmanuel Murat, via Théâtre Princesse Grace Monaco]
Au début de saison, en parcourant les programmations des salles de Suisse romande pour faire mon choix de spectacles auxquels assister, je jette un œil sur les critiques des blogueurs parisiens, puisque les pièces ont souvent été jouées dans la capitale française avant de partir en tournée. A l’époque, les avis étaient assez partagés, comparant régulièrement “Un dîner d’adieu” à la précédente production du duo d’auteurs, “Le prénom”, gros succès s’il en est. L’ayant vu en film, mais pas sur les planches, j’ai décidé d’aller découvrir moi même ce que valait leur nouvelle pièce, en me disant que je ne risquais donc pas d’être déçu en la comparant au “Prénom”. Et à quelques jours de la représentation, voilà que je tombe un peu par hasard sur la page Au Balcon d’ “Un dîner d’adieu”. J’y vois les précédentes notes laissées par les membres : 0.5/10, 1/10, 0.5/10. Outch. Autant dire que j’avais peur de ce qui m’attendait…
Eh bien pas du tout : j’ai passé une excellente soirée et je suis bien incapable de comprendre ces critiques hypernégatives ! Déjà, l’idée de base est assez géniale : nous découvrons un couple se préparant à aller dîner chez des amis, à ranger dans la catégorie des “amis qu’on voit deux fois par an, par tradition”. Ni monsieur ni madame n’ont envie de les voir, mais c’est comme ça, il faut y aller. Sauf qu’ils commencent justement à se demander s’il FAUT vraiment y aller. En faisant quelques estimations, ils constatent que ces obligations de partager des repas avec d’anciens amis leur prennent un nombre de soirées incalculable chaque année. Et s’ils décidaient de rompre ces amitiés afin de passer leur temps libre comme ils le souhaitent ? Pour se faire, quoi de mieux que d’organiser un dîner d’adieu, à savoir un dernier dîner entre “amis”, le plus génial de tous, avant de se quitter à jamais ?
C’est un synopsis aussi intéressant que bien trouvé et, surtout, terriblement original. Voilà d’ailleurs un des gros points forts du spectacle : en 1h45, je n’ai pas eu une seule fois l’impression d’avoir sous les yeux quelque chose de déjà vu dans une autre pièce, et c’est pas faute d’en avoir vu quelques-unes. Pas de vannes déjà entendues dix fois, pas de situations hyperprévisibles, non, rien que du neuf. A mon sens, ça suffit à prouver qu’attribuer un 0.5/10 à cette pièce est digne de mauvaise foi !
Sans transition, passons au décor. Il est, c’est vrai, plutôt classique, quoique très bien réalisé. Les effets de lumière m’ont plus dérangé, l’éclairage de la pièce changeant de couleur toutes les 10 minutes sans que je comprenne ce qui le justifie. Une éclipse suivie d’une pluie d’étoiles filantes et d’une soirée disco des voisins dans le jardin ? Peut-être, allez savoir !
J’ai déjà parlé de l’idée de départ, j’en arrive au texte en tant que tel. Très bien mise en place, l’histoire avance à un rythme agréable, si ce n’est un petit coup de mou dans la deuxième partie de la pièce au moment d’un long monologue qui aurait mérité quelques coupes. A part ça, je n’ai aucune critique négative à formuler, la trame narrative nous fait passer de situation croustillante en situation croustillante sans répit et les thèmes abordés sont bien trouvés. La réflexion de fond sur ces anciens amis qu’on ne voit plus que de temps en temps est même assez intéressante, bien que la conclusion en soit prévisible.
Un appartement bien designé ne pouvait accueillir qu’un texte bien découpé…
[photo de Emmanuel Murat, via Théâtre Princesse Grace Monaco]
Quant à l’humour, s’il n’est pas présent à chaque réplique (ça n’est clairement pas un spectacle visant à faire rire toutes les 20 secondes), il est bien dosé, les dialogues sont parfaitement écrits et certaines vannes sont très bien trouvées en plus d’être amenées subtilement. Il y a d’ailleurs un jeu de mots où j’ai été le seul à rire, ce qui est à mon sens un signe de qualité, évidemment – une histoire de vin du Chili qui est décrit comme étant du corbières des Andes… Les spectateurs les plus distingués pourront trouver les quelques traits d’humour à tendance scatologique (ou plutôt enfantine) discutables, mais ça ne m’a pas dérangé du tout.
J’en viens aux acteurs. Dans le rôle du mari décidant de mettre en œuvre ce plan machiavélique de dîner d’adieu, Lionel Abelanski s’en tire très bien, interprétant de façon amusante un personnage aussi vicieux quant à son envie de se débarrasser de certains amis que lâche quand il s’agit de le faire. A ses côtés, Lysiane Meis est celle qui brille le moins, le manque de subtilité du caractère de la femme qu’elle interprète m’ayant particulièrement marqué dans les premières minutes.
Seul “rescapé” du casting original (les deux autres personnages étaient originellement tenus par Eric Elmosnino et Audrey Fleurot), Guillaume de Tonquédec est absolument parfait dans le rôle de la victime. Totalement névrosé, adorant s’entendre parler et menant une vie pour le moins spéciale, tout le monde comprend très rapidement pourquoi le couple veut se débarrasser de l’ami qu’il incarne ! Sans surjouer le côté mentalement dérangé de son personnage, le comédien arrive à faire rire tout en nous le rendant sympathique ; une belle prestation.
C’est déjà l’heure de la conclusion. Comme je l’ai dit dans l’introduction et répété au long de cet avis, je ne suis absolument pas d’accord avec les critiques extrêmement négatives lues sur le web. J’ai l’impression que la pièce souffre injustement de la comparaison avec “Le prénom”, spectacle signé des mêmes quatre mains. Il faut être honnête, ce dîner d’adieu est une excellente idée pleine d’originalité qui résulte en une comédie dans la moyenne supérieure du panier avant tout grâce à une écriture soignée et à une intéressante évolution narrative. Les finances de la production permettent de monter un appréciable décor design, dans lequel Bernard Murat dirige ses acteurs de façon sobre, mais moderne et efficace. En parlant de comédiens, Guillaume de Tonquédec est excellent en ami semi-fou, Lionel Abelanski n’étant pas en retrait, permettant à la très bonne écriture des dialogues de fonctionner à plein régime à condition d’oublier les deux ou trois temps morts. Dommage que Lysiane Meis soit en retrait. Casting agréable, progression dramatique, efficacité et originalité, voilà les ingrédients de ce sympathique dîner auquel vous pouvez amener vos amis que vous souhaitez conserver !
Merci aux Productions du Roi Arthur pour le soutien accordé à On Stage Now. Retrouvez la suite de leur programmation de saison sur leur site Internet !