Nos femmes
De Eric Assous
Mis en scène par Richard Berry assisté par Brigitte Villanueva
Avec Jean Reno, Richard Berry, Patrick Braoudé
Décors par Philippe Berry
Lumières par Christophe Offenstein
Création sonore par Michel Winogradoff
Costumes par Pascale Louange
Théâtre du Léman, Genève, Suisse
Produit par Théâtre de Paris (producteur), Marie Coline Films (producteur), Arts Live Entertainment (producteur, tourneur), Swiss Arthur Prod (organisateur)
Représentation du mardi 31 mars 2015 à 20h30
Placé en quatrième catégorie (rang ZZ, place 1)
Payé 40.50 CHF (tarif adhérent FNAC)
Le casting trois étoiles de la pièce : Richard Berry, Patrick Braoudé et Jean Reno
[photo de Céline Nieszawer, via le Théâtre de Paris]
En début de saison, au moment de choisir les spectacles auxquels j’assisterais dans l’année à venir, j’ai pris ma place pour “Nos femmes” surtout grâce au nom de Jean Reno. Et plus la date de la représentation arrivait, plus j’entendais parler de la pièce, énorme succès parisien acclamé par la critique et par les spectateurs. Effectivement, j’ai passé un excellent moment !
Au lever de rideau le public se trouve face à l’imposant décor d’un magnifique appartement dont j’aimerais bien être l’heureux propriétaire… Au milieu de ce plateau très design se trouvent Jean Reno et Richard Berry, soixantenaires amis de longue date attendant leur troisième compère afin de passer une bonne soirée à manger, boire et jouer aux cartes en parlant de tout, de rien mais surtout de leur femme respective.
Sauf que, ce soir là, le troisième ami est très en retard, ce qui a le don d’énerver le maniaque et tatillon personnage campé par Jean Reno, c’est à dire Max. Cette situation banale permet de faire comprendre au public les différences de caractère entre les deux principaux protagonistes, le tout grâce à des dialogues soignés et une interprétation au top niveau dès le début.
Si Jean Reno vous invite à bouffer, n’arrivez pas en retard !
[photo de Céline Nieszawer, via le Théâtre de Paris]
Après un petit quart d’heure le troisième ami, Simon, entre en scène, visiblement choqué. Et pour cause : il vient de tuer sa femme. Ses amis ne le croient pas, mais pourtant si, une dispute a éclaté avant son départ et il l’a fait, il l’a froidement étranglée. Et maintenant ? Les deux autres lui conseillent d’appeler immédiatement la police, mais Simon refuse de passer quelques années derrière les barreaux. La pièce prend un tout autre tournant, les dialogues deviennent absolument délicieux.
Puis, peu à peu, le grand morceau de l’intrigue se met en place… D’un côté, Paul, le personnage joué par Richard Berry, pense que l’amitié doit être plus forte que tout, et qu’il faut donc respecter le choix de Simon, celui de ne pas se rendre. Max pense lui qu’un crime est un crime, qu’il n’est pas possible de mentir à ce sujet et que le rôle de l’amitié dans ce genre de cas est de soutenir celui qui est en difficulté mais pas de devenir son complice.
Et voilà que le tueur va plus loin : il demande à ses copains de mentir à la police en déclarant que les trois étaient réunis autour de l’apéro à l’heure du meurtre, espérant ainsi être innocenté. Les positions des deux autres se précisent, les avis deviennent de plus en plus tranchés… Le couvrir ? Le dénoncer ? Simon s’endort, victime d’un cocktail émotions-alcool-médicaments. Ses amis décident de le coucher et une longue nuit de discussion commence…
Entre Paul et Max, un riche débat a lieu, oscillant entre révélations, philosophie, amitié et humour
[photo de Céline Nieszawer, via le Théâtre de Paris]
Les heures passant, le dialogue se développe. J’insiste une fois de plus, mais l’écriture et l’interprétation sont vraiment parfaites. Bien qu’il n’y ait pas de grands mouvements sur scène à partir de ce moment (encore que… j’y reviens dans quelques instants), les répliques sont placées avec une conviction énorme et notre attention est captivée par la situation, ce qui fait qu’il est impossible de lâcher l’histoire de peur de perdre ne serait-ce qu’une seule bribe de l’échange. Je vous disais que le dialogue s’enrichissait et, en effet, d’autres thèmes arrivent sur la table, impliquant la vie de famille des deux compères. Nous apprenons que le personnage de Paul communique encore moins avec sa fille qu’avec sa femme (et c’est pas peu dire) tandis qu’en face le problème est tout autre : Max est incapable de s’installer durablement avec une femme et se pose mille questions sur sa vie.
Je parlais d’un moment d’action, il y en a même deux. Premièrement, la merveilleuse tirade de Richard Berry qui s’emporte et balance violemment tout ce qu’il pense de Max, de son côté ennuyant, ne voulant pas prendre de décisions et de ses “vinyles de chanteurs morts”. Ce qui conduit à quelques éclats de rire vu la réaction désabusée parfaitement singée par Jean Reno. Celui-ci brûlera les planches lors d’un moment surréaliste, celui où Max révèle qu’il n’aime pas que les chanteurs morts, mais aussi… le rap, ce qu’il prouvera chorégraphie à l’appui. La scène pourrait virer en une caricature anti-jeunes, mais non, c’est juste brillant et à mourir de rire de voir Jean Reno dancer sur du NTM !
Evidemment, je ne vais pas vous révéler la fin (très bien foutue d’ailleurs), mais mentionner rapidement que la fille de Paul prend place dans l’arène des retournements de situation, tout comme des histoires d’argent, le tout de façon plutôt maligne. Y’a pas à dire, Eric Assous signe ici un texte parfait de A à Z, et tant pis si je me répète !
Un aperçu un peu plus large du décor
[photo de Céline Nieszawer, via le Théâtre de Paris]
Je ne l’ai pas mentionné, mais Richard Berry, en plus d’être sur scène (et de l’avoir été au côté de Daniel Auteuil dans la première version de la pièce, mais dans le rôle de Max – original de changer de rôle) a signé la mise en scène. Cette dernière est fluide, sobre, intelligente et met en avant l’impeccable jeu d’acteur. A propos de mise en scène, il faut signaler l’amusant parallèle inséré dans le décor avec une oeuvre d’art faisant vraiment penser à un cadavre féminin (visible sur la photo ci-dessus)…
Je me suis déjà suffisamment extasié sur le jeu du duo Jean Reno / Richard Berry, un mot quand même sur Patrick Braoudé, qui se fait injustement oublier. Certes, il n’est pas très présent (au début lors de l’annonce du meurtre puis un peu plus tard, en semi-coma, et lors du final), mais il est excellent. Son rôle n’est vraiment pas facile et il le rend crédible avec une belle sobriété. Dernière remarque avant la conclusion : à la sortie du théâtre j’ai entendu des gens s’étonner de la portée de la voix des acteurs. S’il y a bien des micros à l’avant scène, je pense que leur impression est le résultat de la diction parfaite des comédiens. C’est tout con, mais c’est vrai qu’il est malheureusement rare que, sur une pièce de quasiment deux heures, chaque mot soit parfaitement compréhensible, sans la moindre exception.
La conclusion donc… “Nos femmes” est une oeuvre hybride, à mi-chemin entre la pièce humoristique et le texte plus profond (j’ai d’ailleurs longtemps hésité à le classer dans l’une ou l’autre rubrique de mon blog), ce qui fait beaucoup dans son succès. C’est aussi une combinaison entre un texte parfaitement ciselé et une restitution de ce dernier d’une fidélité et d’une efficacité incroyable. Bref, c’est le symbole du théâtre parisien classique et divertissant, ce qu’on devrait voir dans chaque pièce du genre. Bravo et merci à l’auteurs et aux acteurs pour cet excellent moment, ils ont bien mérité le triomphe que leur a réservé le public du Théâtre du Léman !