Pour la tournée, Evelyne Buyle remplace Edith Scob et Patrick Zimmermann remplace Jean-Paul Muel
Le Misanthrope
De Molière
Mis en scène par Michel Fau assisté par Damien Lefèvre, Davy Vetter
Avec Julie Depardieu, Michel Fau, Evelyne Buyle, Jean-Pierre Lorit, Patrick Zimmermann, Laure-Lucile Simon, Roland Menou, Frédéric le Sacripan, Fabrice Cals
Décors par Bernard Fau assisté par Emmanuel Charles
Lumières par Joël Fabing
Costumes par David Belugou
Maquillages par Pascale Fau
Théâtre Le Reflet – Théâtre de Vevey, Vevey, Suisse
Produit par Théâtre de l’Oeuvre (producteur), Théâtre Montansier (producteur), sic Productions (tourneur), Le Reflet – Théâtre de Vevey (organisateur)
Représentation du mercredi 4 mars 2015 à 20h00
Placé en deuxième catégorie (rang 17, place 23)
Payé 24.00 CHF (tarif étudiant)
Une partie du casting… Derrière, accompagnant Alceste (Michel Fau) à droite, les interprètes d’Oronte et d’Arsinoé sur cette photo sont ceux de la distribution parisienne de la pièce, différente de celle passée par Vevey ; devant, Clitandre (Roland Menou) et Acaste (Frédéric le Sacripan) entourent Célimène (Julie Depardieu)
[photo de Marcel Hartmann, via le dossier de presse]
Il faut que je vous précise d’entrée que je ne suis habitué ni de Molière (si ce n’est Dom Juan étudié dans tous les sens lors de mes études) ni des pièces en vers (la seule que j’aie vu étant une version “low cost” des Femmes savantes). C’est la réputation de Michel Fau et de Julie Depardieu qui m’a poussé à aller découvrir le Misanthrope ce soir là (parce-que, je l’avoue, je ne connaissais pas du tout la pièce).
Une constatation d’entrée : la façon qu’a Michel Fau de traiter les alexandrins en fait une version parfaite pour qui n’est pas habitué à ces sonorités. Je l’avais entendu en parler dans On n’est pas couché, disant que “ce théâtre là, déjà à l’époque, n’était pas joué de façon réaliste, il était déjà un peu poétique, poétisé, donc ça chante, évidemment, mais c’est comme du slam ou comme du rap, ça chante“. Et c’est son parti pris : diriger ses acteurs vers une prononciation claire et précise du texte de Molière, en exagérant la diction pour faire chanter les vers. Et les acteurs en question excellent dans cet exercice.
A mon avis, Michel Fau a d’ailleurs tout à fait raison : de nos temps, une mise en scène d’une pièce en alexandrins doit soit être extrêmement précise, soit faire abstraction de ce style d’écriture dépassé, mais l’espèce d’entre-deux “je déclame des vers n’importe comment avec un rythme pourri mais ça fait super classe de le faire”, c’est nul.
Deuxième constatation : Michel Fau n’a pas uniquement choisi de traiter les vers de façon “exagérée”, il en fait de même avec les costumes et le maquillage, d’un kitsch incroyable, renvoyant toute note de bon goût aux oubliettes. Le travail derrière leur conception est d’ailleurs à saluer très fortement. L’action se déroule la moitié du temps devant une toile peinte dans le même esprit d’extravagance (dont j’ai cherché ce qu’elle représentait pendant toute la représentation, il paraît que ce sont les Enfers, référence bien trouvée), l’autre moitié dans un étrange décor tout en perspectives. Seul accessoire sur le plateau, une chaise, régulièrement maltraitée, au service de la mise en scène (amusant).
Les photos rendent particulièrement bien l’effet kitschissime de cette mise en scène du Misanthrope
[photo de Marcel Hartmann, via le dossier de presse]
J’en viens au début de la pièce, en précisant, pour les ignorants comme celui que j’étais, que l’action commence par une longue discussion entre Alceste et son ami Philinte, ce dernier reprochant à Alceste sa sincérité un peu trop directe pour le milieu distingué dans lequel ils vivent, le deuxième critiquant en retour l’hypocrisie de Philinte. Le personnage de Célimène arrive au centre de la conversation, Alceste en étant amoureux alors qu’elle symbolise tout ce qu’il déteste. Nous voilà en plein dans ce que Molière fait de mieux (dis-je en connaissant quatre de ses pièces à tout casser), les confrontations d’idée. C’est évidemment magnifiquement écrit et tout autant bien joué, bref, ça commence très fort.
Après cette belle théorie sur l’honnêteté à avoir (ou pas), Oronte, un autre membre de la cour, entre en scène, et avec lui le jeu excentrique de Patrick Zimmermann, provoquant les rires de la salle après quelques mots seulement. Il fait passer son personnage pour une “grande folle” maniérée (si je peux me permettre de dire ça de cette façon), comportement poussé à l’extrême. C’est drôle et ça marche parfaitement. Oronte est là pour que quelqu’un lui donne un avis sur ses sonnets pourris, Alceste lui dit que c’est de la merde (enfin, c’est tout de même un peu mieux écrit que ça), les ennuis commencent en même temps que se termine le premier acte.
Jusque là, la pièce est géniale, les dialogues captivants, l’interprétation parfaite, en bref j’adore. Malheureusement ça va se gâter dans les quatre actes restants…
Oronte (version parisienne) fait face à Alceste, Philinte tentant de calmer les esprits pour éviter la faute diplomatique
[photo de Marcel Hartmann, via le dossier de presse]
Arrive donc, dans l’acte deux, Julie Depardieu dans la peau de Célimène. Je précise que je ne suis vraiment pas fan de l’excentricité de l’actrice au naturel, mais tout va bien, elle est ici atténuée sous les traits de son personnage. Nous assistons à une crise de jalousie entre Célimène et Alceste (scène pas franchement mémorable) avant qu’entrent en scène Clitandre et Acaste, personnages que Michel Fau traite de façon très semblable à celui d’Oronte. Et si la première fois c’était drôle, voir agir ces deux clichés poussés à l’extrême de nobles complaisants devient assez rapidement lassant. Vraiment dommage de ne pas avoir un peu plus nuancé leur jeu.
Cela dit, la scène qui suit est une des meilleures : la critique par Célimène d’à peu près toute la cour… sauf ses représentants présents dans la pièce, évidemment. C’est génialement interprété et mis en scène, avec méchanceté tout en faisant bien ressortir l’absurdité de la situation. Alceste s’emporte, et c’est le moment que Molière choisit pour nous apprendre que son personnage est convoqué au tribunal suite à son manque de respect vis-à-vis d’Oronte.
Les trois derniers actes oscilleront entre rivalités amoureuses (puisqu’un peu tout le monde semble être le prétendant de Célimène), descente aux enfers d’Alceste qui devient franchement dépressif – jusqu’à décider de s’exiler – et arrivée de deux nouveaux personnages féminins.
Alceste et ses deux-trois problèmes amoureux, au point qu’il en vienne à bouffer du papier…
[photo de Marcel Hartmann, via le dossier de presse]
Les deux personnages féminins, venons-y. Tout d’abord, la vieille coincée qui se fâche avec Célimène lors d’un dialogue rappelant le face-à-face Alceste / Philinte du début. Arisnoé, c’est son nom, est le seul personnage de la pièce interprété avec une relative retenue (et malheureusement de façon assez peu marquante). Eliante ensuite, la Célimène numéro deux, amoureuse d’Alceste mais aimée par Philinte, sert de prétexte à quelques imbroglios amoureux. L’actrice est bonne, même que j’avoue trouver le personnage au final assez transparent dans l’intrigue.
J’en arrive au dernier personnage non encore évoqué, celui du valet, interprété par Fabrice Cals. Michel Fau a choisi de pousser la folie à l’extrême avec le protagoniste ayant le moins de temps de jeu. Chaque entrée sur scène est donc prétexte à un numéro de claquettes (je ne sais pas si c’est une parodie des serviteurs de l’époque, mais ça passe vraiment mal), le point final du mauvais goût étant atteint lors du seul moment où l’acteur passe plus d’une minute sur les planches. Nous avons alors droit à un numéro comique surjoué et terriblement raté, au point que j’étais à la limite d’être gêné pour le pauvre interprète. Incompréhensible.
Cette critique touche à sa fin, l’occasion de conclure en soulignant le superbe parti pris de Michel Fau concernant la prononciation des alexandrins et, du moment que j’y suis, de préciser que Michel Fau est un acteur en tous points exceptionnels, qui entre à ravir dans la peau d’Alceste. Il est bien accompagné par les non moins brillants Julie Depardieu (Célimène), Jean-Pierre Lorit (Philinte) et Patrick Zimmermann (Oronte).
Malgré ces incroyables comédiens et un texte à la morale toujours actuelle, poussant à la réflexion, j’en suis venu à me lasser de la pièce après les deux premiers actes, regrettant les “personnages doublons” au charisme moins évident que les rôles principaux. A moins que ça ne soit mon manque d’habitude des pièces en vers qui m’ait fait décrocher ? Je ne sais pas, mais une chose est sûr, je ne regrette pas d’avoir découvert cette mise en scène d’un Molière non modernisé mais au récit plongé dans son siècle, avec une surprenante touche extravagante.