La colère du tigre
De Philippe Madral
Mis en scène par Christophe Lidon assisté par Sophie Gubri
Avec Claude Brasseur, Yves Pignot, Sophie Broustal, Marie-Christine Danède
Décors par Catherine Bluwal
Lumières par Marie-Hélène Pinon
Vidéos par Léonard
Musiques par Cyril Giroux
Costumes par Chouchane Abello-Tcherpachian
Théâtre de Beausobre, Morges, Suisse
Produit par Théâtre Montparnasse (producteur), Atelier théâtre actuel (producteur, tourneur), Théâtre de Beausobre (organisateur)
Représentation du mardi 27 octobre 2015 à 20h00
Placé en première catégorie (rang D, place 5)
Prix payé 60.80 CHF (abonnement 14-17 spectacles au Théâtre de Beausobre = -20%)
Les deux têtes d’affiche du casting : Claude Brasseur dans le rôle de Clemenceau et Yves Pignot dans celui de Monnet (et ça sera la seule photo de ce dernier, le service de presse n’ayant pas refait de photos suite au changement de distribution)
[photo sans crédit, via Thionville tourisme]
Mes “collègues” critiques parisiens n’ont pas spécialement apprécié “La colère du tigre” la saison passée, qu’importe, j’ai quand même eu envie d’aller voir de mes propres yeux ce que valait cette pièce en tournée, autant pour découvrir un géant du théâtre que je n’avais pas encore eu la chance de voir sur scène, Claude Brasseur, que par intérêt pour cet épisode historique impliquant deux célèbres amis. A signaler que la distribution n’est plus la même qu’à Paris puisque ça n’est pas Michel Aumont qui est parti sur les routes aux côtés de Claude Brasseur mais Yves Pignot.
Pour ceux qui ne connaissent pas la pièce, sachez que ce dernier interprète le rôle du peintre Claude Monnet tandis que Brasseur est le “tigre” Georges Clemenceau. L’action se déroule dans sa maison de campagne où Clemenceau se repose après la longue carrière politique que l’on connaît (ou pas, mais ça n’est pas vraiment fondamental pour la pièce, quoi qu’un petit rafraîchissement de ses connaissances en histoire fasse du bien). C’est là que doit le rejoindre l’artiste, son ami de toujours, pour discuter d’un léger problème. En effet, Clemenceau a toujours défendu l’oeuvre impressionniste de Monnet, et a pesé de tout son poids pour que l’Etat français mette les moyens pour transformer l’Orangerie afin d’accueillir les désormais célèbres Nymphéas du peintre.
Sauf que le pauvre Monnet a un problème de cataracte, ne distingue plus les couleurs et se juge parfaitement incapable de mener à terme ce colossal projet. Ajoutez à cela que tous les deux ont un caractère de cochon, que malgré leur amitié ils n’hésitent pas à s’engueuler violemment, que Monnet est un véritable perfectionniste et que Clemenceau ne supporte ni l’idée de dépenser l’argent du contribuable dans le vide, ni le fait que son ami ne tienne pas ses promesses, et vous avez là un beau sujet de pièce. J’oubliais ; complétez le tout par deux personnages féminins, à savoir une servante pour la touche humoristique et une jeune éditrice pour que le tigre puisse nous parler d’amour.
Le tigre et son nouvel amour, une éditrice qu’il fait venir dans sa maison de campagne sous prétexte de travailler sur un livre…
[photo de J. Stey, via le dossier de presse]
Evidemment, ça n’est pas une pièce à suspens ou à retournements, le public sait bien que les Nymphéas vont finir par être peints, mais malgré cela la pièce garde un bon rythme. Le texte et la mise en scène arrivent à éviter les discussions interminables et coupent l’action en plusieurs petites scènes, gardant le spectateur captivé par la dispute de ces deux personnages. Ces passages sont d’ailleurs très intéressants ; plus que Clemenceau ou Monet, c’est bien l’amitié qui est le personnage central de la pièce. Voir des amis de presque 60 ans s’engueuler et bouder, refuser pour l’un de dire la vérité à son ami par crainte de sa réaction, pour l’autre d’accepter l’évidence … L’écriture de ces passages est très fine et vraiment réussie.
Au second plan, l’intrigue amoureuse fonctionne parfaitement et remplit très bien son rôle, à savoir élargir le sujet de la pièce. Le texte est léger, les petites références historiques toujours bien amenées sont autant nombreuses que les bons mots (“la moitié des hommes politiques ne sont capables de rien et l’autre est capable de tout”), et le personnage de la servante amène un peu d’humour bienvenu, grâce à la superbe interprétation de Marie-Christine Danède, dont l’accent du terroir est autant réussi que son air ahuri en découvrant que le meilleur ami de son patron passe son temps enfermé chez lui à dessiner des nénuphars sur des tableaux de 12 mètres de large !
En parlant d’interprétation, le casting est, et ça n’est pas une surprise, sans la moindre fausse note. Je ne sais pas comment Michel Aumont interprétait Monet, mais Yves Pignot arrive à nous le rendre sympathique, à nous montrer la déception de l’artiste plus capable de maîtriser ses pinceaux comme il le souhaiterait. A ses côtés, Claude Brasseur excelle dans la peau de cet homme fatigué dont les crises de colère ne sont jamais loin. L’acteur met sa voix particulière au service d’un parler très travaillé, pour un résultat du plus bel effet. Au final, seules les colères manquent parfois de folie – le duel à coup de cannes entre les deux vieillards est même un peu ridicule.
Claude Brasseur, parfait dans la peau du tigre fatigué toujours à l’affut d’un nouveau prétexte pour s’énerver…
[photo de J. Stey, via le dossier de presse]
Rien à dire sur les costumes plutôt réussis, par contre je m’interroge sur le décor, à savoir un fond de scène “façon impressionniste”, quelques tables et chaises, et le mur de la maison transparent, derrière lequel on devine les cuisines. Jusque là, d’accord, mais pourquoi avoir choisi d’y projeter de la vidéo ? Elle est très légère et n’apporte rien – pire, je n’ai pas vraiment compris les incessantes références aux drapeaux que Clemenceau a accroché dans son jardin et qui sont vidéo-projetés en toile de fond. J’aurais préféré avoir un décor un peu moins sobre mais sans cet artifice assez inutile par dessus.
Avant d’en arriver à la conclusion, un petit mot sur le moment des saluts où, malgré une salle particulièrement enthousiaste, Claude Brasseur faisait une tête d’enterrement et poussait ses camarades à sortir de scène. Fatigué par la pièce ? Je ne sais pas, mais c’était assez spécial à voir. D’autant qu’il semblait plutôt heureux d’être là, étant passé un peu plus tôt dans la pièce à deux doigts du fou-rire suite à une légère collision avec une chaise suivi d’un petit “merde” ne figurant probablement pas dans le texte original de Philippe Madral !
La conclusion, donc. Dans le registre des pièces historiques, “La colère du tigre” est une réussite, dont la seule chose ennuyante est le décor simpliste aux projections inutiles. Le texte lui mélange très bien l’humour et l’histoire, alterne entre l’intrigue amoureuse et les intéressants points de vue sur l’amitié, est rempli de bons mots et de références, bref, il est dynamique et bien écrit. L’interprétation est au top, de l’accent fleuri de Marie-Christine Danède à la voix travaillée de Claude Brasseur en passant par le jeu sobre mais excellent de Sophie Broustal et Yves Pignot, avec cependant un petit manque de folie dans les moments de colère (renverser les meubles, c’est bien, élever un peu la voix, ça serait mieux). La mise en scène, bien que classique, arrive à séparer les dialogues en différentes scènettes par quelques légers mouvements, évitant ainsi tout ennui parmi les spectateurs. Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé – à croire que “La colère du tigre” et moi étions félin pour l’autre…