La bonne planque
De Marcel André
Mis en scène par Antony Mettler
Avec Pierre Aucaigne, Vincent Kohler, Anne-France Tardiveau, Jacques Vassy, Maria Mettral, Florian Sapey
Décors par Jacques Vassy
Lumières par Alain Vitaloni
Accessoires par Virginie Mouche
Costumes par Virginie Mouche
Théâtre de Beausobre, Morges, Suisse
Produit par Frédéric Martin (producteur), Les amis du boulevard romand (producteur, tourneur), Théâtre de Beausobre (organisateur)
Représentation du mercredi 21 décembre 2016 à 20h00
Placé en 1ère catégorie (rang N, place 5)
Payé 49.30 CHF (abonnement 10-13 spectacles au Théâtre de Beausobre = -15%)
L’équipe de la pièce au grand complet, des comédiens au producteur en passant par la costumière – accessoiriste, le metteur en scène et le régisseur
[photo sans crédit, via la page Facebook de la troupe]
Dans l’agenda de la saison théâtrale de Suisse romande figure, durant l’hiver, la tournée de la troupe des Amis du boulevard romand. C’est la neuvième année qu’ils sont au rendez-vous, et que je le suis aussi, puisque je n’ai loupé aucune de leur pièce. Leur idée est simple : reprendre des classiques du théâtre de boulevard, légèrement retaper le texte et présenter le tout dans les salles de Romandie. L’atout principal du groupe : la présence dans ses rangs de Pierre Aucaigne, acteur de génie, habité par ses rôles, plus grand interprète que je connaisse des personnages simplets et névrosés typiques des vaudevilles.
Au programme de cette année, “La bonne planque”, un texte écrit en 1962 par Michel André avec, dans le rôle-titre, ni plus ni moins que Bourvil. Pour la petite histoire, c’est le succès de la diffusion télévisée en catastrophe de cette pièce, un soir de grève, qui a conduit à la création de “Au théâtre ce soir”. Apparemment tombé dans l’oubli depuis, ce spectacle n’en est sorti qu’un court instant pour une re-création en 2003 du côté de la Belgique avec, dans le premier rôle… Pierre Aucaigne, déjà lui.
L’histoire ? Classique. Un bandit, ayant emmené une conquête féminine avec lui lors d’un braquage de banque pour l’impressionner, tente d’échapper à la police en se réfugiant avec sa mallette remplie de billets dans le premier appartement qu’il trouve. Le logement en question appartient à un demi-fou, gloire déchue de la chanson franchouillarde, accessoirement obsédé par sa passion du thé. Pire encore, le voisin de cet énergumène est le policier chargé de l’enquête sur le cambriolage, un véritable nul n’ayant jamais réussi à arrêter quiconque, ce qui s’explique assez aisément vu son manque d’initiatives et son QI flirtant avant le néant.
Le développement de l’intrigue se devine assez facilement, et fait appel à toutes les ficelles du théâtre de boulevard (à part peut-être les portes qui claquent) : cachette dans le placard, échange impromptu de mallettes, coups de feu partant par erreur, séduction, personnage cardiaque, tout y est ! Le décor est lui aussi on ne peut plus classique, mais bien réalisé.
L’amie du cambrioleur est chargée de faire diversion auprès de l’inspecteur Péquinet (au centre) et du passionné de thé interprété par Pierre Aucaigne – pas compliqué vu l’intelligence des spécimens…
[photo sans crédit, via la page Facebook de la troupe]
Après avoir été déçu de la précédente création de la troupe (André le magnifique), qu’ai-je pensé de cette cuvée 2016 – 2017 ? Qu’elle est bien meilleure, assurément, mais pas au niveau de ce que faisait le collectif il y a encore quelques saisons. Premier bon point, contrairement à l’année passée, je n’ai pas trouvé Pierre Aucaigne bridé par la mise en scène – heureusement d’ailleurs, parce qu’il porte quasiment la pièce à lui tout seul. Il est presque tout le temps sur scène, et toujours en mouvement, possédé par son personnage, avec ses petites mimiques si géniales et son air d’attendrissant ahuri maniéré.
Mais, et ce alors que c’est l’élément moteur que le metteur en scène devrait utiliser, il n’est pas spécialement mis en avant. A part lors de la scène de la capture du bandit, où le policier désemparé téléphone à ses supérieurs pour savoir ce qu’il doit en faire (la version par Bourvil est assez culte), Aucaigne n’a pas de moments où “parader” en mettant en avant ses incroyables qualités comiques. Alors évidemment, nous sommes ici dans une pièce de théâtre, je ne demande pas à la transformer en one man show, comme il est fait dans Nelson avec Chantal Ladesou, mais je pense qu’il aurait été intelligent de mettre en scène le texte de façon à laisser quelques espaces de liberté à Aucaigne.
Ce qu’il manque à ce spectacle, c’est un effort dans la modernisation. Le texte a plus été “mis à niveau” que véritablement adapté, et la mise en scène est très typée années 60, avec, à l’exception d’Aucaigne, des acteurs restant majoritairement statiques lorsqu’ils ne parlent pas. Certes, en comparant la vidéo de la version Bourvil postée plus haut au texte que j’ai entendu, il y a des différences, mais ce sont surtout des mises à jour du vocabulaire.
Pierre Aucaigne et Vincent Kohler (le cambrioleur), duo comique qui mériterait plus de liberté dans la mise en scène – d’autant que quand Aucaigne part en impro, c’est du gros délire !
[photo sans crédit, via la page Facebook de la troupe]
Je pense qu’il aurait fallu oser couper franchement dans les répliques, injecter de l’actualité (ce qui était superbement fait lors des premiers spectacles de la troupe, qui faisaient référence à la politique) et insérer de nouveaux effets comiques. Ceux qui n’ont pas pris une ride sont la moquerie vis-à-vis du policier durant la fameuse scène du téléphone et les quelques très bons jeux de mots disséminés dans le texte, c’est plus sur le reste que les années se font sentir. Dernière remarque, même si le manque de rythme n’est pas le plus gros problème, la pièce dure 2 heures plus un entracte, et je pense que l’amputer légèrement (ça a peut être déjà été fait en partie par rapport au texte de base) et supprimer la pause aurait également été bénéfique.
Depuis le début, je ne parle que de Pierre Aucaigne, il me faut encore toucher un mot sur le reste de la distribution. Il y a de quoi s’inquiéter en sachant que le personnage du policier est tenu par… le décorateur de la pièce, Jacques Vassy. De mémoire, celui-ci avait déjà de tout petits rôles dans les tournées précédentes, mais il est ici beaucoup plus présent. Et c’est une excellente surprise ; sa carrure et son interprétation collent parfaitement à ce commissaire Lagaffe. Le brigand, Vincent Kohler, s’en sort avec les honneurs, même s’il pourrait parfois pousser un peu plus son personnage vers l’absurde, registre qu’il connaît pourtant bien. L’excentrique mini-rôle de Florian Sapey est bien tenu, dynamisant la fin de la pièce. Quant à la distribution féminine (Anne-France Tardiveau en amie du cambrioleur et Maria Mettral en femme nymphomane du policier), elle ne joue pas faux, loin de là, mais est plus fade, typique des pièces des 60’s. Un bon coup de balayette lors de l’adaptation leur aurait permis de bien plus s’exprimer.
Florian Sapey, très bon reporter radio autant cardiaque que nerveux, et Anne-France Tardiveau, malheureusement bridée dans son rôle un peu nunuche
[photo sans crédit, via la page Facebook de la troupe]
Conclusion ? Un bon moment, un Pierre Aucaigne toujours aussi excellent dans ses rôles de gros benêts tant fous et maniérés qu’attachants, mais, une fois de plus avec la troupe des Amis du boulevard romand, une déception au niveau de l’adaptation. Il y a quelques années, ses membres me semblaient avoir pour objectif de dépoussiérer le genre en y insérant des références à l’actualité et en y mettant les inimitables singeries de Pierre Aucaigne au premier plan. Depuis l’arrivée d’Antony Mettler à la mise en scène, leurs spectacles ressemblent plus à une version légèrement remise au goût du jour au niveau du champ lexical des pièces d’époque, et c’est bien dommage. Mais je serai évidemment dans la salle l’année prochaine, pour le plaisir de voir cabotiner Aucaigne, et en espérant retrouver l’efficacité de leur premier spectacle “Panique au Plazza”.