Einstein on the Beach
De Philip Glass, Robert Wilson
Livret par Lucinda Childs, Christopher Knowles, Samuel M. Johnson
Musiques par Philip Glass, Titus Engel (directeur musical), Fruzsina Szuromi (direction des choeurs), Ágnes Lőrincz (répétitrice pianos)
Mis en scène par Daniele Finzi Pasca assisté par Melissa Vettore, Allegra Spernanzoni
Chorégraphies par Maria Bonzanigo
Collaboration artistique avec Estelle Bersier (assistante de Daniele Finzi Pasca), Sebastiano Barbieri (creative coder)
Avec la Compagnia Finzi Pasca (Jess Gardolin, Stéphane Gentilini, Andrée-Anne Gingras-Roy, Evelyne Laforest, Francesco Lanciotti, David Menes, Marco Paoletti, Félix Salas, Beatriz Sayad, Allegra Spernanzoni, Rolando Tarquini, Micol Veglia, Melissa Vettore), le Einstein-Ensemble composé des étudiantes et étudiants de la Haute école de musique de Genève, Madoka Sakitsu (violon solo)
Scénographie par Hugo Gargiulo assisté par Matteo Verlicchi
Lumières par Alexis Bowles, Daniele Finzi Pasca assistés par Marzio Picchetti
Vidéos par Roberto Vitalini
Costumes par Giovanna Buzzi assistée par Ambra Schumacher
Théâtre Grand Théâtre de Genève, Genève, Suisse
Produit par Grand Théâtre de Genève (producteur, organisateur), Compagnia Finzi PAsca (producteur)
Représentation du samedi 14 septembre 2019 à 19h00
Placé en troisième catégorie (parterre, rang 16, place 1)
Payé 87.00 CHF (tarif jeune)
Une partie de la Compagnia Finzi Pasca dans cette mise en scène de Einstein on the Beach aux visuels circassiens
[photo de Carole Perodi, via le dossier de presse]
Daniele Finzi Pasca est décidément capable de m’emmener partout… Après m’avoir convaincu d’aller assister à la Fête des vignerons où je n’aurais probablement jamais mis les pieds s’il n’était pas à la manœuvre (le compte-rendu est disponible par ici), voilà qu’il m’a fait franchir pour la première fois les portes d’un opéra — enfin, pas tout à fait, j’étais déjà allé voir une pièce de théâtre à celui de Lausanne, mais bref.
Cela dit, est-ce que ce qui est présenté sur scène est un opéra ? Einstein on the Beach, puisque c’est le spectacle dont il s’agit, semble faire débat, et pour cause : pas d’histoire, pas de personnages, pas de textes si ce n’est quelques intermèdes aux phrases étranges et pas de paroles pour le chœur autre que “do-re-mi-fa-sol-la-si” et les chiffres d’un à huit répétés en boucle. Rajoutez à cela une musique minimalisto-expérimentale et l’hérésie pour les puristes d’avoir introduit des claviers électroniques dans la fosse d’orchestre. Comme expliqué dans la petite conférence d’avant-représentation (excellente idée de faire ça d’ailleurs), le compositeur Philip Glass clôt le débat en disant que vu que ça doit se jouer sur une scène, avec une fosse d’orchestre et des cintres, c’est que c’est un opéra !
J’ai hésité avant d’aller voir ce spectacle qui me semblait assez peu accessible… Pas loin de quatre heures quand même. Comme voulu par l’auteur original, pour pallier au manque d’entracte, le Grand théâtre encourageait le public à sortir de la salle quand il le souhaite, pour faire sa propre pause. Vu les rangs bien serrés et les fauteuils plutôt bruyants, l’idée s’avère catastrophique. Personnellement, je suis resté à ma place tout du long, mais les classiques 20 minutes d’intermission m’auraient paru largement plus judicieuses.
A l’origine, l’opéra était divisé en quatre actes (entourés par cinq “knee plays”, des interludes auxquels Philip Glass a apparemment donné un nom aussi absurde que le reste) avec des scènes aux titres et à l’action évoquant plus ou moins clairement des thèmes de la vie d’Einstein. Le célèbre scientifique n’était par contre absolument pas représenté. Daniele Finzi Pasca a décidé de ne rien garder de la mise en scène originale ni des sujets des tableaux.
Dans cette nouvelle version, la coupe de cheveux reconnaissable entre mille et la moustache d’Einstein apparaissent partout, de la scène aux choristes !
[photo de Carole Perodi, via le dossier de presse]
Autre modification, le choix de laisser musiciens et choristes tout du long dans la fosse d’orchestre pour réserver les planches aux seuls membres de la Compagnia Finzi Pasca. Pas vraiment de danse au programme, mais plutôt des tableaux visuels de temps en temps agrémentés d’un peu d’arts circassiens.
Dans cette version revisitée, des personnages sont bien de la partie. En plus d’Einstein, on retrouve une clownesse, une étrange régisseuse, un cheval et son humaine, des toreros, une mariée, des plagistes… Finzi Pasca a probablement voulu intégrer un fil rouge là derrière, mais soyons clair, si ce n’est que la clownesse donne l’impression d’être une sorte de chef d’orchestre et qu’il semble y avoir un lien quelconque entre Einstein et la régisseuse, on n’y comprend absolument rien !
Les passages parlés, récités en anglais et dont il nous a été expliqué à la conférence d’avant-spectacle que décision avait été prise de ne pas les surtitrer vu leur absurdité difficilement traduisible, rendent le tout encore plus confus. Parmi les plus “clairs”, une espèce de manifeste féministe, un court texte répété des dizaines de fois qui s’attaque au consumérisme par le biais des supermarchés ou un délire sur le fait que la Terre bouge. Pour le reste, c’est beaucoup plus conceptuel !
Aucune équation ne nous expliquera par quel délire artistique un bonze se retrouve à flotter au milieu de tubes lumineux !
[photo de Carole Perodi, via le dossier de presse]
Côté mise en scène, Daniele Finzi Pasca ne s’est pas forcément foulé, il a appliqué ses recettes qui fonctionnent, avec certains tableaux quasiment copiés-collés de précédents travaux — et même des costumes et accessoires récupérés de certaines de ses autres productions !
Dans le déjà-vu, il y a notamment cette idée géniale de placer un fond de décor aplati au sol et de le filmer depuis au-dessus. Des comédiens jouent couchés par terre ce qui, une fois projeté sur un écran, permet de s’amuser avec les lois de la physique de façon très drôle. Et quand les acteurs tentent de se lancer des ballons, c’est encore pire ! Un concept dur à expliquer par écrit, mais très efficace en live.
Au chapitre du recyclé également, la toile qui vient recouvrir tout l’avant-scène, avec des images projetées depuis l’arrière. Les humains et les décors, suivant qu’ils soient au fond du plateau ou proches de l’écran, apparaissent à des tailles différentes. Un exercice magnifiquement maitrisé, notamment lors du moment où des ombres de roues de vélo tourbillonnantes sont visibles, complétées par un acrobate à la roue Cyr.
L’amour de Finzi Pasca pour les projections vidéo combinées aux ombres chinoises est une fois de plus parfaitement exploité
[photo de Carole Perodi, via le dossier de presse]
Dans les nouveautés, l’intégration d’un cheval au milieu des acteurs pour quelques tableaux. Les décors monumentaux aussi, autorisés grâce à l’imposante machinerie du Grand Théâtre. Cette bibliothèque sortant de terre et montant encore et encore avec un Einstein assis dessus, insensible au ballet de ses assistants jusqu’à ce que toutes ses feuilles de notes se mettent à s’envoler, est géniale.
L’utilisation de tubes de LED, descendant des cintres ou manipulés par la compagnie au sol, permet des effets de grande qualité. La plus belle réussite visuellement parlant est certainement la chorégraphie de miroirs géants, reflétant les décors, personnages et rayons lumineux, avec une maitrise totale. Le final et son recours généreux aux confettis est magnifique également.
Einstein sur sa bibliothèque géante, des confettis, des feuilles qui volent, une mariée… Comme tout du long des quatre heures de spectacle, l’avalanche visuelle est bien présente lors du final !
[photo de Carole Perodi, via le dossier de presse]
Je ne parle ici que d’une partie du foisonnement artistique : sirène volante, drone, nageuse dans un cylindre rempli d’eau, vélos, rollers, avions en papier ou badminton, il y a de tout ! De quoi probablement décontenancer les puristes de la mise en scène originale. C’est loin d’être mon cas ; j’ai retrouvé tout ce que j’aime dans la signature visuelle de Finzi Pasca, avec quelques tableaux vraiment magnifiques.
Et musicalement alors ? Certes, ça surprend. L’ouverture du spectacle a de quoi faire peur : sur scène, une femme récite des nombres, semblant s’enchaîner au hasard, tandis que les chœurs et l’orchestre débutent par quelques notes bien répétitives. Mais, une fois plongé dedans, tout passe bien, à part peut-être un on deux morceaux aux sons relativement pénibles dans le premier tiers de l’opéra (qui auront eu raison de certains spectateurs). Au contraire, vers la fin, la musique se fait un peu plus variée, abandonnant même par instant ses caractéristiques orgues électroniques.
Je pense que jamais je n’écouterai ça hors spectacle, mais j’ai trouvé le tout plutôt sympathique finalement, même si je n’ai malheureusement pas le savoir et le talent nécessaire pour apprécier pleinement l’écriture de Glass. J’ai entendu des analyses rythmiques à gauche à droite, mais j’avoue que je n’y comprends pas grand-chose, et que j’arrive pas vraiment à remarquer ce qui émerveille les connaisseurs…
La mise en scène bien moins répétitive et basée sur le rythme que la musique apporte un contraste intéressant
[photo de Carole Perodi, via le dossier de presse]
J’éviterai aussi de juger le talent des choristes et musiciens étant donné que c’est un registre auquel je ne connais absolument rien, mais ça m’a paru de très haute facture, et c’est en tout cas l’avis qui ressortait parmi les spectateurs après la représentation.
Une belle expérience donc, j’ai bien fait d’avoir osé aller voir ce qui n’est de base pas du tout dans mes goûts ! Visuellement il y a eu du magnifique, même si pas forcément original pour qui connaît déjà le travail de Finzi Pasca, et musicalement de la découverte franchement pas repoussante comme j’aurais pu l’imaginer. Peut-être qu’une version plus élaguée ne ferait pas de mal étant donné qu’il y a quand même quelques scènes qui durent un peu long, mais sinon, c’était vraiment bien !