Des gens intelligents
De Marc Fayet
Mis en scène par José Paul assisté par Emmanuelle Tachoires
Avec Marc Fayet, Gérard Loussine, Lisa Martino, Lysiane Meis, Marie Piton, Stéphane Hillel
Décors par Edouard Laug
Lumières par Laurent Béal
Musiques par François Peyrony
Costumes par Brigitte Faur-Perdigou
Théâtre de Beausobre, Morges, Suisse
Produit par Théâtre de Paris (producteur), Arts Live Entertainment (producteur, tourneur), Théâtre de Beausobre (organisateur)
Représentation du jeudi 29 octobre 2015 à 20h00
Placé en première catégorie (rang U, place 12)
Prix payé 54.40 CHF (abonnement 14-17 spectacles au Théâtre de Beausobre = -20%)
Le casting de la pièce : trois hommes, trois femmes, trois couples (avec, sur la photo, au centre des hommes, Stéphane Wojtowicz au lieu de Stéphane Hillel)
[photo de Céline NIeszawer, via le dossier de presse]
Je commence par une confession : j’ai acheté mes places pour ce spectacle par erreur. En effet, j’avais prévu d’aller voir Joe Satriani à Lausanne ce soir là, sauf que, en commandant mon abonnement sur le site du Théâtre de Beausobre, j’ai confondu “Des gens intelligents” et “Des gens bien” (quelle idée d’appeler deux pièces jouées la même saison avec des noms si proches aussi hein…), résultat, me voilà avec un billet en poche pour ce jeudi 29 octobre. Bon, c’est fait c’est fait, tant pis pour l’as de la six cordes, à la place direction Morges pour une pièce de théâtre, et ça n’est pas si grave que ça puisque la pièce en question a obtenu le Molière de la comédie 2015, de quoi normalement passer une bonne soirée.
Au programme, trois couples, dont les trois maris sont très amis, tout comme le sont leur femme, évidemment. Tout commence par une soirée entre mâles où un des trois explique aux autres, tout naturellement, comment il a annoncé à sa femme qu’il pensait raisonnable de se séparer mais en continuant à vivre sous le même toit, pour profiter de la vie, en gros. Selon lui, elle l’a très bien pris et était on ne peut plus d’accord.
Quelques minutes plus tard, le public est transporté dans un autre appartement, où les trois femmes passent elles aussi une soirée ensemble et sont en train de parler, devinez… du même sujet. Sauf que le point de vue n’est pas tout à fait le même et que Chloé (qui est le nom de la femme de David (qui est le monsieur dont je parlais en-dessus (vous voulez encore une parenthèse ?))) n’apprécie pas trop la décision de son cher mari…
Du côté de la soirée “entre filles”, la version de l’histoire n’est pas la même que celle dont il est fait mention à la soirée foot entre mecs…
[photo de Céline NIeszawer, via le dossier de presse]
La pièce se poursuivra au rythme de petites scènettes, nous faisant assister à tour de rôle aux discussions du groupe d’amis, puis d’amies, puis du couple 1, puis du couple 2, puis de couple 3 et ainsi de suite. Evidemment, les trois hommes ont des personnalités très différentes, les trois femmes aussi, et après chaque discussion entre ami(e)s, au moment de retrouver son/sa conjoint(e), plus personne ne le/la voit de la même façon… La situation empire à chaque fois, plus personne ne se comprend, bref, ça dégénère.
Ca vous fait penser à du théâtre de boulevard ? Certes, mais ici, pas de portes qui claquent, et surtout des personnalités un peu plus travaillées que le classique homme d’affaire qui va voir sa maîtresse et se fait, ô surprise, prendre en flagrant délit par sa femme. Non, ici les quiproquos viennent des hommes, des femmes et même des couples. Les caractères sont travaillés et l’ensemble est plutôt crédible. Je pourrais faire un bon mot facile en disant que “Des gens intelligents” est intelligent… et vous savez quoi, je vais le faire. D’autres diraient que c’est un vaudeville féministe (pas la spectatrice à côté de moi, choquée par ce détail : “un homme qui repasse, c’est n’importe quoi !”), et c’est assez vrai, dans le sens où les femmes ont la même importance que les hommes, ce qui est bien rare dans ce style de pièces.
Mais alors, du boulevard intelligent au scénario modernisé, ça donne quoi comme texte ? Disons que j’ai trouvé que ça commençait assez mollement, il m’a fallu bien un quart d’heure avant d’entrer dans l’histoire. Ensuite, si le scénario est plausible, il l’est peut-être même un peu trop – la crédibilité psychologique des personnages c’est bien, mais ça manque un peu de folie tout ça. Niveau humour, s’il y a quelques situations très amusantes, je regrette qu’il n’y ait pas plus de lignes de dialogues marquantes. Pire, il y a deux ficelles comiques classiques qui sont utilisées par l’auteur Marc Fayet, ce qui est vraiment dommage pour une pièce qui veut dépoussiérer le genre. La première, c’est la déformation d’expressions (à savoir se “tromper” et remplacer “malencontreusement” un mot par un autre dans une expression), chose déjà vue et qui ne fait plus vraiment rire. La deuxième, c’est la sur-utilisation de vannes de cul. Les blagues de cul c’est drôle si c’est immensément vulgaire ou incroyablement fin, mais celles que tu vois venir dix secondes à l’avance et que tu as déjà entendu mille fois, c’est nul.
A mon avis, les dialogues des scènes entre hommes sont les meilleurs de la pièce, portés par trois excellents acteurs
[photo de Céline NIeszawer, via le dossier de presse]
J’ai une autre déception concernant la fin de l’intrigue, envoyée vite fait sans véritable dénouement, comme si l’auteur ne savait lui-même pas comment résoudre ses quiproquos. Et le tout prend place juste après une scène de baisers entre femmes, qui arrive on ne sait trop comment, et qui a eu pour seule utilité de choquer le public âgé autour de moi (oui, j’étais décidément bien entouré pour cette représentation !). Un texte qui ne m’a qu’à moitié convaincu donc, ce qui est bien dommage puisque les acteurs le défendent très bien, avec une mention spéciale pour Gérard Loussine, mari fidèle et un peu simplet, et, surtout, pour Marc Fayet (David dans la pièce), hilarant lorsqu’il s’emmêle, bégaye et finit par ne plus savoir que dire en tentant d’expliquer ses réflexions étranges sur leur couple à sa femme.
Niveau décor, le choix a été de placer côte-à-côte sur scène trois murs de style différents pour tenter de nous faire passer d’un appartement à l’autre. Avec un éclairage pensé en conséquence ça aurait pu fonctionner, mais force est de constater que c’est un peu raté, et qu’un décor unique aurait certainement fait meilleure impression.
Conclusion ? “Des gens intelligents” tente de renouveler le genre du théâtre de boulevard en y introduisant des personnages au caractère travaillé et en donnant autant d’importance aux femmes qu’aux hommes dans le scénario. C’est une idée bienvenue, mais en planchant trop sur la psychologie et la crédibilité des situations, l’auteur Marc Fayet a oublié de travailler sur les dialogues, qui manquent par conséquence de folie et de bons mots, les rares “vannes” se trouvant dans le texte étant des déformations d’expressions ou des blagues en-dessous du niveau de la ceinture déjà entendues partout. Il a également dû manquer de temps pour écrire une fin, qui se trouve être bâclée. Les acteurs et actrices sont par contre excellents, interprétant avec brio et subtilité les traits de caractère de leur personnage. Le décor est lui assez discutable, l’effet censé nous transporter dans les différents appartements ne fonctionnant pas vraiment. Une pièce en demi-teinte donc, tentant de moderniser un style dont elle oublie l’essence : l’humour.