Fête des vignerons 2019
De Daniele Finzi Pasca, Julie Hamelin
Mis en scène par Daniele Finzi Pasca assisté par Melissa Vettore
Chorégraphies par Bryn Walters assisté par Laura Guglielmetto
Collaboration artistique avec Estelle Bersier (assistante de Daniele Finzi Pasca et coordinatrice de la direction artistique)
Scénographie par Hugo Gargiulo assisté par Matteo Verlicchi
Lumières par Alexis Bowles
Vidéos par Roberto Vitalini
Musiques par Maria Bonzanigo (directrice musicale, compositrice principale), Jérôme Berney (compositeur), Valentin Villard (compositeur), Stéphane Blok (librettiste), Blaise Hofmann (librettiste)
Création sonore par Martin Reich
Costumes par Giovanna Buzzi assistée par Ambra Schumacher (conception et création), Lisa Ruffini (production et réalisation)
Théâtre Arène de la Fête des vignerons, Vevey, Suisse
Produit par la Fête des vignerons 2019 (producteur, organisateur)
Représentation du jeudi 18 juillet 2019 à 19h00
Placé au secteur A2, rang 18, place 65
La Fête des vignerons, toute personne vivant en Suisse en entend parler en long, en large et en travers depuis des mois. Pour les autres, c’est peut-être moins clair… Il faut commencer par préciser que ce grand événement, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO depuis 2016, se déroule à Vevey, à quelques kilomètres de Lausanne, en pleine région viticole. C’est là qu’a été fondée en 1707 déjà une Confrérie des vignerons.
Ils ont eu l’idée un peu saugrenue de célébrer leur métier non pas toutes les années, mais “une fois par génération” – la règle exacte étant que la fête ne peut avoir lieu que cinq fois par siècle. La dernière était en 1999, nous revoilà en 2019, pile 20 ans après comme vous l’aurez calculé (l’édition d’avant était en 1977, celle encore avant en 1955).
Et qu’est-ce qu’il s’y passe à ces “FeVi” ? Une remise de prix aux vignerons les plus méritants, une fête pendant un mois dans tout Vevey où le vin coule évidemment à flots, mais aussi, et c’est la partie qui nous intéresse, un gros spectacle. Au programme en 1819, 2 représentations devant 2’000 personnes avec quelques 730 figurants. 1955 ? 11 fois 16’000 spectateurs pour regarder 3’850 figurants. Et 2019 est l’année de tous les records, avec de gigantesques arènes de 20’000 places pour 20 présentations du spectacle.
L’arène gigantesque sur la Place du Marché veveysanne…
[photo de Valentin Flauraud, via 20 minutes]
La démesure est plutôt impressionnante : presque 6’000 figurants, un spectacle de quasiment 3 heures, le plus grand plancher LED au monde (738 mètres carrés) et j’en passe. Oui mais voilà, moi, de base, malgré ma passion pour les gros shows, je voyais ça d’un œil pas franchement intéressé, sentant l’événement dégoulinant de patriotisme entouré de vaches et de musique traditionnelle.
Sauf qu’aux commandes de la mise en scène se trouve Daniele Finzi Pasca, et j’aime beaucoup tout ce que j’ai vu de dirigé par le Tessinois. Pour rappel, sur son CV ne figure rien de moins que trois cérémonies de Jeux olympiques (clôture de Turin et Sochi, ouverture des paralympiques de Sochi), deux shows du Cirque du Soleil (un que je n’ai pas encore vu et mon préféré de la troupe québécoise, Corteo), trois pour le Cirque Eloize, des opéras et quelques spectacles de sa compagnie, dont La Verità et Donka, déjà chroniqués ici.
Impossible alors de rater cette Fête des vignerons ! C’est très curieux que je m’en suis allé découvrir ça pour la première des 20 représentations. Une date qui a fait couler pas mal d’encre : initialement programmée à 6h (oui, oui, du matin !) pour respecter la tradition, repoussée à 11h puis encore une fois à 19h vu les ventes décevantes, et finalement remplie à grand coup d’offre promotionnelle sur le célèbre site Qoqa. La première présente aussi une particularité, celle d’intégrer le couronnement ou, autrement dit, la remise des médailles aux vignerons de la région, ce qui rallonge le spectacle d’une heure.
Au centre de l’arène se trouve l’énorme dalle LED. Sur les quatre côtés, au milieu des tribunes, de larges escaliers mènent à des scènes intermédiaires. Les deux escaliers situés sur les petits côtés du “stade” peuvent se soulever pour servir d’entrée et de sortie de scène. Un bout du plancher LED peut également s’affaisser et se transformer en rampe d’accès au plateau. Voilà pour la partie technique.
L’arène, son plancher LED, ses escaliers et ses scènes latérales durant les répétitions
[photo de Valentin Flauraud, via 20 minutes]
Du côté artistique, il nous est proposé de suivre la petite Julie et son grand-père au milieu des vignes, des personnages et animaux peuplant l’univers viticole, du temps et des saisons qui passent. Daniele Finzi Pasca a également choisi d’intégrer trois “Docteurs”, personnages légèrement clownesques qui commentent l’action. On reconnaît bien la patte du metteur en scène au niveau des dialogues, parfois un peu trop inspirés voir carrément dispensables.
Les Trois Docteurs, parmi lesquelles Jérôme Aké-Béda, acteur d’un jour accessoirement sommelier suisse 2015 !
[photo de Céline Michel pour la Fête des vignerons, via le dossier de presse]
L’ouverture du spectacle se fait alors que le plancher LED est recouvert de vignes, d’un chalet et de cuves inox. Julie et son grand-père apparaissent, bientôt rejoints par une libellule (un autre des personnages récurrents) volant d’un bout à l’autre de l’arène . Puis toute une nuée de différents insectes arrivent d’un peu partout, les uns commençant les vendanges, les autres jouant des percussions sur les cuves.
Insectes vendangeurs, libellule, petite Julie et percussionnistes réunis pour l’ouverture du show
[photo de Samuel Rubio pour la Fête des vignerons, via le dossier de presse]
D’emblée, je suis rassuré : c’est loin d’être de la musique traditionnelle et l’ensemble est bien moderne ! Malheureusement, le choix d’utiliser de la musique chorale avec plusieurs centaines de personnes chantant fait que, et ce sera une constante pendant le spectacle, les paroles sont inaudibles. Un mot est de temps en temps perceptible, mais ça s’arrête à peu près là. Vraiment dommage !
Après que Julie et son grand-père se soient mis à jouer aux cartes, nous assistons à un très beau tableau fait d’une chorégraphie de cartes humaines. Une bonne idée et un visuel à la hauteur, alors qu’une nouvelle armée de choristes fait son apparition dans les escaliers autour de l’arène. Un mot sur les costumes, qui sont vraiment l’énorme réussite de ce spectacle. Jolis, colorés, modernes, détaillés et variés, tout ça pour pas loin de 6’000 figurants, ça doit représenter un travail absolument titanesque !
Photo issue des répétitions, avec toutes les cartes en main pour en faire une réussite !
[photo de Céline Michel pour la Fête des vignerons, via le dossier de presse]
En parlant de figurants par contre, je ne veux pas vexer tous ces bénévoles qui ont passé des heures à répéter, mais il faut être honnête : on comprend très vite que ce sont effectivement des figurants ! La synchronisation est toujours approximative et nombreux sont ceux qui sont à côté de la chorégraphie. Le niveau est, me semble-t-il, vraiment éloigné de ce qu’on peut voir pour une cérémonie de JO par exemple.
Quoique c’est un peu mieux pour la scène suivante, qui voit l’arrivée des Cent Suisses, personnages apparemment cultes de la Fête des vignerons, dont la hallebarde traditionnelle a ici été remplacée par un bâton lumineux. Ils se lancent dans une marche militaire synchronisée avec l’éclairage de carreaux rouges et blancs du plancher LED pour un résultat convaincant.
The Swiss Jedi, comme le disait le journaliste anglophone à côté de moi !
[photo de Julie Masson pour la Fête des vignerons, via le dossier de presse]
A signaler que certaines représentations se font de jour, d’autres de nuit. Celle a laquelle j’ai assistée m’a permis de découvrir un peu des deux. De jour, l’écran LED reste discret et fait simplement partie du décor. De nuit, il apporte un éclairage assez violent. De même, à l’heure où je les ai vus, les bâtons lumineux des Cent Suisses n’avaient pas grand intérêt, alors que j’imagine que ce passage doit être encore plus sympathique en nocturne. Je crois que j’aurais préféré voir l’ensemble de nuit, même si le soleil donne une certaine proximité avec les figurants.
Une forte brume envahit ensuite tout le plateau pour le moment des maîtres tailleurs (ceux qui taillent la vigne durant l’hiver) avant que n’arrivent des acteurs en costume de cheval pour un tableau façon carrousel. Le nombre de choristes répartis autour de l’arène impressionne toujours, ceux-ci passant même par instant entre les spectateurs. La musique est à la fois rythmée, moderne et variée de scène en scène… mais les paroles restent très dures à entendre.
Les maîtres tailleurs dans leur brume…
[photo de Julie Masson pour la Fête des vignerons, via le dossier de presse]
Vient un sympathique passage avec des ballons géants en forme de larmes – censés représenter la montée de la sève dans les ceps le printemps revenu… mmmh, heureusement que j’ai la description pour me l’expliquer ! Les figurants “lanceurs de larmes” ressortent de scène après avoir revêtu des masques de lapins et renards (là j’ai pas la description, dommage parce que j’ai pas bien compris la transition !) et laissent place à des danseuses aux robes réversibles. Malin : un moment tout en bleu symbolisant le gel, un moment tout en rouge symbolisant le printemps. Musique sympathique toujours et arrivée d’un élément original pour la fin du tableau : des ventilateurs disposés en rond pour faire s’envoler des tas de feuilles. Ca paraît con dit comme ça, mais l’effet est très réussi.
La libellule est de retour pour survoler les larmes de la vigne…
[photo de Céline Michel pour la Fête des vignerons, via le dossier de presse]
Places eux Effeuilleuses, des danseuses façon french cancan, avec robes et musique assorties. Très bien encore une fois, mais ça doit être le dixième tableau où se succèdent des centaines de figurants et je commence à me dire qu’une scène avec un peu moins de monde, un peu plus de décors, un peu moins de choristes, un peu moins de chorégraphie et un peu plus de mise en scène en tant que tel ferait du bien.
Ca tombe bien, me voilà servi avec un passage maritime : Julie embarquée sur un bateau de papier, des acteurs maniant des marionnettes de poissons géants, une mise en scène plus détaillée se donnant le luxe de profiter de l’espace et de la musique entraînante avec deux solistes (et donc des paroles compréhensibles !) aux voix originales. Probablement le meilleur moment du spectacle !
Tout ça préparait la noce, vraisemblablement un autre incontournable de la fête. Les tables du festin sont dressées aux quatre coins de l’arène, les mets et le vin arrivent de partout (avec notamment cette très surprenante vache à la broche !) et on nous chante de ne surtout pas nous marier.
Le plateau est alors entièrement recouvert d’une grande bâche gonflée de chaque côté par des ventilateurs tandis que retentit un chœur d’enfants. Joli. Puis la bâche est retirée d’un coup sec et révèle sur le plancher LED de jeunes gymnastes pour le seul numéro acrobatique de la soirée. Un phénix parcourt l’écran et des boules de feu sont lancées vers le ciel pour agrémenter le tout. Un bel effet de mise en scène pour commencer et un tableau dynamique pour poursuivre, voilà probablement le deuxième meilleur moment du spectacle ! A signaler que quelques sportifs handicapés ont été intégrés à l’action, une bonne idée.
Daniele Finzi Pasca a quand même intégré un peu d’acrobaties circassiennes, et ça fait du bien !
[photo de Céline Michel pour la Fête des vignerons, via le dossier de presse]
Passe la plutôt insignifiante scène de la Saint-Martin et ses quelques chèvres et on arrive aux tracassets, véhicules vignerons pétaradants. A signaler qu’entre les deux un tableau est supprimé lors des représentations de jour, je ne peux donc pas vous en dire plus.
Musique et marche militaire, drapeaux partout et Cent Suisses de retour cette fois-ci avec leurs hallebardes, ça se fait plus sérieux pour introduire le couronnement. Enfin, sérieux, jusqu’à ce qu’un porte-drapeau tombe dans les escaliers à trois mètres de mois, le pauvre, c’était plus que spectaculaire, j’espère qu’il va bien ! La cérémonie en tant que telle ne fait normalement pas partie du show, et tant mieux, parce que c’est particulièrement long et peu passionnant… Et personne n’a rien compris, applaudissant à tout rompre les premiers médaillés de bronze avant de se rendre compte qu’en fait tout le monde est médaillé, donc que les bronzéifiés sont en quelque sorte les perdants !
Bref, le temps que ça se termine, il commence à faire nuit. Le plancher LED révèle toute sa puissance avec une prairie un peu trop fluorescente. Les vaches et cors des Alpes font leur entrée pour la séquence la plus folklorique du spectacle, le chant du “Ranz des vaches”. Je sentais que j’allais être allergique à tout ça, mais vu que c’est la seule scène du genre sur les trois heures, ça peut passer. Il faut d’ailleurs signaler l’orchestration en quadriphonie très bien faite ; des solistes et des chorales sur chaque côté de l’arène se répondent avec du son ne provenant que des enceintes situées de leur côté.
Le temps de ramasser les déjections bovines avec une logistique assez folle, de remercier les techniciens et les figurants chargés des changements de décor (aux très jolis costumes d’étourneaux) et voilà les deux derniers tableaux. Au programme, chansons entêtantes et milliers de figurants – quasiment tous pour le final, sur le plateau, dans les escaliers, sur les quatre petites scènes, dans les allées, partout ! C’est pas très subtil, il n’y a rien de spécial au niveau de la mise en scène, mais c’est impressionnant !
Parmi les plus jolis costumes, les étourneaux figurent en bonne place !
[photo de Julie Masson pour la Fête des vignerons, via le dossier de presse]
Impressions finales ? Un spectacle résolument moderne, que ça soit au niveau de la musique ou des costumes, très grande réussite. Quelques petites longueurs, mais dans l’ensemble un rythme très bien tenu durant quasiment trois heures. Une idée de fil rouge intéressante, même si tout n’est pas clair et que quelques dialogues un peu inspirés sont de trop.
Un gros problème technique au niveau de la sonorisation des chorales par contre. J’imagine bien que c’est ultra casse-gueule à faire, surtout pour des choristes non professionnels, j’ai bien vu qu’ils en ont carrément équipé certains avec des micros individuels, mais au final, le résultat est là, décevant : presque toutes les paroles sont incompréhensibles.
J’ai trouvé qu’il y avait trop de moments avec des centaines de figurants, certes joyeux et investis, mais pas toujours très pros et synchros. J’aurais préféré plus de tableaux épurés et travaillés, comme pour les passages des marins ou des gymnastes, qui sont les meilleurs, ceux qui laissent le mieux s’exprimer le talent de metteur en scène de Daniele Finzi Pasca.
Et la question qui fâche : est-ce que ça vaut 300 CHF la place ? Si on considère que ça a lieu tous les 20 ans et que c’est assez unique de voir autant de figurants réunis, peut-être, si on se dit que ça représente le prix de deux spectacles du Cirque du Soleil, beaucoup moins. Quoi qu’il en soit, si vous avez l’occasion d’y aller, n’hésitez pas, et sinon, j’imagine qu’il y aura une retransmission télé, qui peut rendre encore plus justice à ce genre de shows avec la multitude d’angles de vue… et la qualité du son !