Donka
De Daniele Finzi Pasca
Mis en scène par Daniele Finzi Pasca assisté par Facundo Ponce de León
Chorégraphies par Daniele Finzi Pasca, Maria Bonzanigo
Collaboration artistique avec Antonio Vergamini (directeur de création), Alexis Bowles (directeur de production), Julie Hamelin Finzi (associée à la création), Facundo Ponce de León (recherche), Geneviève Dupéré (coordination artistique)
Avec la Compagnia Finzi Pasca (Andrée-Anne Gingras-Roy, Beatriz Sayad, David Menes, Jess Gardolin, Evelyne Laforest, Félix Salas, Francesco Lanciotti, Lydia Gomez, Marco Paoletti, Melissa Vettore, Rolando Tarquini, Stéphane Gentilini)
Scénographie par Hugo Gargiulo
Equipements acrobatiques par Daniel Cyr (conception de la roue Cyr)
Accessoires par Hugo Gargiulo assisté par Chiqui Barbé
Lumières par Daniele Finzi Pasca, Alexis Bowles
Vidéos par Roberto Vitalini (Bashiba)
Musiques par Maria Bonzanigo
Création sonore par Maria Bonzanigo
Costumes par Giovanna Buzzi
Maquillages par Chiqui Barbé
Théâtre Le Reflet – Théâtre de Vevey, Vevey, Suisse
Produit par Compagnia Finzi Pasca (producteur, tourneur), Festival International de Théâtre Tchekhov (producteur), Théâtre Vidy-Lausanne (coproducteur), Le Reflet – Théâtre de Vevey (organisateur)
Représentation du mardi 2 octobre 2018 à 20h00
Placé en catégorie A (rang 10, place 20)
Payé 15.00 CHF (tarif étudiant)
L’ombre d’une partie du casting de Donka…
[photo de Viviana Cangialosi, via le site du Reflet – Théâtre de Vevey]
Pour la première étape de cette belle saison théâtrale 2018 – 2019 qui s’annonce, direction Le Reflet – Théâtre de Vevey. Au programme, Donka, un spectacle circassien de la Compagnia Finzi Pasca. Le théâtre veveysan a profité de l’omniprésence médiatique du nom de Daniele Finzi Pasca (concepteur de la prochaine Fête des Vignerons, en 2019) pour accueillir une de ses productions.
Ca tombe bien, je suis un grand fan du metteur en scène tessinois. De son large CV (deux créations pour le Cirque du Soleil, trois pour le Cirque Eloize, trois cérémonies de Jeux Olympiques, quelques opéras, cinq spectacles pour sa compagnie, etc.), je n’ai eu l’occasion de découvrir que La Verità (que j’avais adoré, critiqué ici, et dont on retrouve une bonne partie du casting dans Donka) et Corteo (mon Cirque du Soleil préféré sur les 12 que j’ai vus).
Ce soir-là, une introduction au spectacle était proposée, à savoir une discussion d’une demi-heure entre la directrice du théâtre et Daniele Finzi Pasca, présent sur les lieux depuis quelques jours puisqu’il s’agissait d’une nouvelle version de Donka. Après quelques mois sans représentation, rafraîchissement et ajout d’artistes supplémentaires étaient au programme.
Finzi Pasca nous explique qu’il a été approché pour présenter une création sur Tchekhov au festival qui est dédié à l’auteur en Russie, qu’il a pour ce faire visité de nombreux endroits pour s’imprégner de l’univers et de la vie du dramaturge (nous racontant qu’il s’est couché sous la table de sa maison d’enfance, seul meuble original encore présent, pour avoir la même vision que Tchekhov enfant !) et que la première de Donka a eu lieu il y a 8 ans déjà. Pour le spectacle, il a choisi, comme à son habitude, de prendre pour point de départ quelque chose qui lui est proche, à savoir un château russe ayant existé à Lugano. De là, il peut montrer que Tchekhov est bien plus près de nous tous qu’on ne le pense…
Cette introduction était vraiment passionnante – mais bien sûr trop courte, j’aurais adoré entendre Daniele Finzi Pasca répondre à des questions un peu plus “techniques” sur son métier ! Je ne peux que remercier le Théâtre de Vevey pour cette excellente idée de présentation (et regretter de ne pas avoir été présent pour celle avec Alexis Michalik !). Ca ajouté au tarif étudiant à 15 CHF pour tous les spectacles, bravo le Reflet !
L’ouverture du spectacle, sur fond de musique festive
[photo de Viviana Cangialosi, via le dossier de presse]
Le spectacle donc… Comme La Verità, il présente la particularité pour un show circassien d’avoir des acteurs parlants. Jouant partout dans le monde, les artistes apprennent leur texte par coeur, quelle que soit la langue. En français en l’occurrence, avec quelques forts accents, il faut bien reconnaître que la compréhension est parfois difficile.
J’étais un peu perdu suite à l’introduction de Finzi Pasca nous situant l’action au Tessin, alors qu’en fait le parti pris est, si j’ai bien compris, de faire croire qu’un château russe a existé où le spectacle se joue, à Vevey donc (l’occasion de glisser des clins d’oeil ici et là, à la Fête des Vignerons, à la fondue, au vin, aux manifestations locales, etc.).
Qu’importe, cette “storyline” ne sert au final qu’à introduire des tableaux à l’univers russe et/ou tchékhovien, mais je suis obligé de signaler que j’ai parfois trouvé le temps long pendant ces transitions parlées… Quand aux univers en question, j’avoue que je ne connais absolument rien ni à l’oeuvre ni à la vie de Tchekhov, autant dire que les références utilisées étaient souvent mystérieuses pour moi (de la pêche, de la médecine et des autopsies, un pistolet et des duels, des poires à lavement (!), des extraits de livre, etc.). L’absence de quatrième mur est aussi parfois déconcertante, quoiqu’au final plutôt amusante.
Si, vous l’aurez compris, la narration, ou plutôt la progression dramatique, n’est de loin pas le point fort de Donka, tout s’arrange lorsqu’arrive la mise en scène de Finzi Pasca. Il nous expliquait que sa façon de travailler avec son équipe était semblable à des gens marchant sur une plage, s’arrêtant tous en même temps pour ramasser le même galet qu’ils trouvaient beau. Leur but, c’est ça, créer des “petits moments de beau”. Il ne pouvait pas mieux le dire; régulièrement à travers le spectacle surgissent ces moments de mise en scène parfaitement trouvés, beaux.
Un artiste au centre éclairé sobrement, quelques pétales au sol, un cyclo tout simple en arrière-scène, une artiste apparaissant en ombre ; le beau façon Finzi Pasca
[photo de Viviana Cangialosi, via lestheatres.net]
Les trouvailles de mise en scène sont nombreuses, avec par exemple ces rubans rouges qui se déroulent depuis les cintres pour symboliser le sang qui coule, l’ouverture du spectacle se faisant derrière un écran occultant tout en étant rythmée par des balles lancées sur des gongs ou encore l’utilisation souvent magnifique d’un projecteur vidéo placé en fond de scène et projetant sur un écran descendant à l’avant-scène des images s’imprégnant des ombres des artistes se trouvant entre les deux. On retrouve aussi les éléments signature de Finzi Pasca, des cyclos aux lits façon Corteo, le tout toujours embelli par un éclairage sobre et juste.
Le summum niveau mise en scène est atteint lors du final du premier acte. Tout commence par des patineurs à l’avant-scène, devant un écran, sur lequel on nous montre que la glace recouvrant le lac sur lequel ils se trouvent est en train de craquer… Le rideau s’ouvre sur la scène occupée par un chandelier et quelques artistes, qui lanceront aux sols de multiples glaçons, pour un visuel magnifique, sur une chorégraphie parfaite accompagnée d’une musique à la progression géniale – sublime.
Le chandelier de glace, magnifique tableau allant crescendo…
[photo de Viviana Cangialosi, via le site du Reflet – Théâtre de Vevey]
La musique et les costumes sont d’autres grandes réussites de Donka, mais j’en viens aux performances acrobatiques pour m’arrêter sur quelques-unes d’entre elles. Je le dis sans détour, j’ai été déçu par rapport à ce que j’avais vu dans La Verità, qui avait des numéros physiques de très haut niveau. Ici, les exploits acrobatiques sont rares, dans l’ensemble peu originaux et jamais bluffants pour qui a déjà vu quelques spectacles de cirque.
Le numéro de trapèze est plus poétique et chorégraphique que véritablement acrobatique, la démonstration de claquettes est amusante, mais de niveau plutôt bas, même la performance de roue Cyr est assez peu impressionnante, mais une fois de plus superbement mise en valeur par un nouveau passage d’ombres sur écran où l’artiste est rejoint par un collègue faisant rouler des cerceaux au sol pour un effet de dédoublement convaincant.
Les trois trapézistes dans une chorégraphie sympathique, mais manquant un peu de punch
[photo de Viviana Cangialosi, via le dossier de presse]
Le moment de jonglage n’impressionne pas vraiment lui non plus, les draps aériens sont sympathique sans gros plus. Largement mieux et très amusant, le contorsionniste mis en scène dans un décor d’hôpital aux médecins peu recommandables ! Mais le plus drôle, parfaitement exécuté, est un duo de voltige… au sol ! En fait, les deux artistes performent par terre, filmés par une caméra fixée au-dessus de la scène, dont les images sont projetées sur un écran. C’est très drôle, vraiment bien fait, et ça permet de réaliser n’importe quelle acrobatie défiant les lois de la physique avec un style saccadé chaplinesque du plus bel effet !
En conclusion, Donka est une nouvelle démonstration du savoir-faire de Daniele Finzi Pasca en matière de mise en scène. C’est très sobre, souvent dépouillé, mais incroyablement travaillé, ultra intelligent, avec ces apparitions de “moments de beau” au milieu d’un tableau que lui seul arrive à créer. D’un côté plus négatif, la narration du spectacle ne fonctionne pas très bien et le fil rouge est parfois dur à suivre. Plus dommage (surtout lorsque l’on sait que le casting sur scène est en grande partie le même qui effectue des numéros de haut vol dans La Verità), les performances physiques sont un peu en dessous des standards circassiens. Malgré ça, le résultat final est de grande qualité, et il me reste encore à signaler une magnifique musique, un beau travail tant sur les costumes que l’éclairage et, pour généraliser, une direction artistique quasi parfaite.