You & Me
De Mummenschanz
Dirigé artistiquement par Floriana Frassetto
Dirigé techniquement par Eric Sauge
Mis en scène par Mummenschanz
Avec Mummenschanz (Floriana Frassetto, Christa Barrett, Sara Hermann, Oliver Pfulg, Kevin Blaser)
Théâtre du Léman, Genève, Suisse
Produit par Mummenschanz Fondation (producteur, tourneur), Opus One (organisateur)
Représentation du mardi 25 avril 2017 à 20h30
Placé au rang Q, place 23
Autant vous prévenir d’entrée : les Mummenschanz ne fournissent quasiment aucune image du spectacle pour préserver l’effet de surprise (et ils ont bien raison) ; celles qui sont publiées ici ne sont que des photos des costumes qui ne rendent pas justice au rendu sur scène.
[photo de Marco Hartmann, via le dossier de presse]
Les Mummenschanz font partie des très rares artistes suisses à être connus mondialement. Mieux, ils font également partie des catégories encore plus rares (à mon avis, ils en sont d’ailleurs les seuls représentants) d’artistes suisses ayant présenté leur spectacle plusieurs mois sur Broadway et ayant multiplié les troupes pour faire face à la demande autour du monde. Créée en 1972, la troupe, redevenue unique, est aujourd’hui formée de cinq performeurs, dont fait toujours partie Floriana Frassetto, membre fondatrice créditée sur ce spectacle en temps que directrice artistique. Les deux autres cofondateurs ne sont plus là, l’un d’eux étant décédé en 1992, le deuxième ayant quitté l’aventure en 2012.
La dernière fois que j’ai vu les Mummenschanz sur scène remonte à l’Expo.02. Ils avaient alors élu résidence dans un théâtre monté sur “l’arteplage” biennois de l’exposition nationale. J’avais 7 ans à l’époque, je vous avoue honnêtement que j’en garde assez peu de souvenirs ! J’étais donc très curieux de voir leur nouveau spectacle “You & Me”, qui tourne à travers la Suisse depuis novembre 2016, avec un nombre de dates assez impressionnant !
La question était de savoir si le fan de gros shows à l’américaine que je suis allait apprécier la poésie toute en finesse de ceux qui se surnomment les “musiciens du silence”, puisque l’une de leurs particularités est de ne pas parler, mais de ne pas avoir non plus la moindre musique. Alors, verdict, spectacle bluffant ou prestation d’art moderne ennuyante ?
Ca n’a pas l’air comme ça, mais en lumière noire et en mouvement, cet espèce de papillon rend très bien sur scène.
[photo de Marco Hartmann, via le dossier de presse]
Et bien j’ai beaucoup apprécié la prestation de la troupe helvète, hyper originale. Il faut avant tout souligner l’incroyable recherche faite sur les costumes, accessoires et matériaux dans lesquels ils sont fabriqués. En plus, la mise en œuvre est toujours parfaite, les artistes s’effaçant totalement derrière les déguisements. Que ça soit pour les numéros en lumière noire ou pour ceux à l’éclairage plus classique, ils sont la plupart du temps invisibles, leur personnage prenant le dessus. Mieux, il est souvent très compliqué de deviner combien des cinq membres des Mummenschanz sont sur le plateau.
Mais avant de parler des costumes, j’aurais peut-être dû décrire à quoi ressemblait un spectacle des Mummenschanz, pour ceux à qui ce nom ne dit rien. Il s’agit en fait d’une succession de tableaux où apparaissent parfois des personnages à silhouettes humaines ou animales, parfois des créatures beaucoup plus abstraites. Parfois elles interagissent dans une courte séquence, parfois elles jouent avec leurs formes seules en scène, parfois elles ne font qu’un rapide passage d’un côté à l’autre du plateau.
Et c’est peut être là que se situe l’unique défaut du spectacle (mais aussi toute l’originalité du concept, c’est vrai) : il n’y a aucun fil rouge, pas d’histoire, rien. Les scènes pourraient tout autant bien être enchainées dans un ordre tiré au sort, personne ne verrait la différence. J’avoue que je le regrette un peu et n’arrive pas à m’empêcher de penser à la réussite que pourrait donner un mix entre le talent technico-expressif des Mummenschanz et une progression dramatique.
Des formes bizarres se transforment soudainement en visages expressifs…
[photo de Marco Hartmann, via le dossier de presse]
Pour vous donner quelques idées du contenu du spectacle, il y a un passage où différentes formes animales tentent de se nourrir d’insectes bourdonnant autour d’eux (un des seuls bruitages diffusés par les enceintes, d’ailleurs), une séquence où un acteur joue sur le fait que son masque soit fixé derrière sa tête, un défilé de méduses stylisées, des créatures dont l’emplacement des yeux est changé pour modeler leurs émotions, un très bel hippocampe qui se forme à partir d’une sorte de long foulard (visible sur l’affiche du spectacle), des masses informes qui, pliées de l’intérieur par un des membres de la troupe, laissent apparaître un visage, des lettres qui se tordent dans tous les sens et se transforment en bonhommes, des masques changeant d’expression à l’aide de pâte à modeler, etc.
J’ai failli oublier l’introduction du spectacle : un écran nous montre ce qui est filmé par une caméra placée au-dessus d’une table. Sur cette dernière, la “cheffe de troupe” Floriana Frassetto commence par quelques dessins, puis manipule différents objets, en jouant souvent sur des apparitions de visages minimalistes — encore une idée originale.
Mais avançons plutôt jusqu’à la fin de la première partie ; après un étrange entracte (aucune annonce en voix off, comme le veut la sobriété du show, ce qui conduit à se demander si le spectacle est déjà fini, impression renforcée par la transition du silence de la prestation au brouhaha du public), la suite de la soirée surprend. En effet, elle est beaucoup plus basée sur les bruits et les interactions entre les créatures mummenschanzesque (je veux bien admettre qu’il y a peu de chance que l’on retrouve un jour cet adjectif dans le dictionnaire…).
Une boîte sur la tête sur laquelle il est possible de dessiner au doigt : une idée toute simple, mais très efficace.
[photo de Marco Hartmann, via le dossier de presse]
Dans l’amusante ouverture de ce deuxième acte, certains spectateurs sont invités à dessiner sur une sorte de “masque magique” d’un personnage (la photo ci-dessus). Plus tard arrivent un monstre à tête de cymbale et son ami le triangle, permettant enfin aux acteurs de faire un peu de bruit. Suit directement une très belle séquence entre deux personnages-violons, avec une amusante apparition d’un troisième “personnage”. Plus étonnant encore, une scène où les Mummenschanz deviennent des humains obnubilés par leurs appareils électroniques tactiles. Une critique de la société qui détonne dans l’univers poétique anthropomorphe du spectacle — une très bonne surprise.
La représentation réserve également une place aux personnages classiques des Mummenschanz, à savoir les mains géantes ou les créatures en forme de tuyaux, qui jouent ici au ballon avec le public (une bonne idée). Quant aux numéros moins réussis, ils sont finalement assez rares, les seuls que je classerais dans cette catégorie étant victimes non pas d’un niveau artistique en deçà, mais d’une durée légèrement trop longue — c’est particulièrement le cas concernant le final du premier acte.
Pour continuer sur les petits bémols, il manque peut-être un ou deux numéros un peu plus spectaculaires, à plus grande échelle. En disant ça, je pense en particulier aux finals des deux parties (j’avoue cependant ne pas pouvoir juger objectivement de la fin du show, un malaise dans la salle ayant causé un certain flottement bien compréhensible).
Les très sympathiques humains-violons pour un petit moment musical au milieu de ce spectacle muet.
[photo de Marco Hartmann, via le dossier de presse]
Voilà venu le moment de la conclusion. Je dois dire que je ne savais pas trop à quoi m’attendre en entrant dans le Théâtre du Léman, très peu d’images ayant été publiées pour préserver la surprise visuelle. J’étais un peu inquiet de m’ennuyer devant un spectacle de style art moderne, annoncé comme sans musique et sans fil rouge. Il n’y a effectivement ni musique, ni fil rouge, et en plus de ça un éclairage minimaliste et un rythme assez lent, mais ça ne m’a au final aucunement dérangé. Les Mummenschanz n’ont rien à voir avec une abstraite performance artistique barbante, il s’agit d’un vrai spectacle. C’est très original, très osé et très surprenant de plonger le public dans le silence. Ca permet d’entrer dans cet univers bizarre au rythme planant, véritable signature de la troupe. Malgré tout, je regrette un peu qu’il n’y ait aucune tentative de trouver un certain liant entre les scènes, un semblant d’histoire ou de trame générale, façon Cirque du Soleil. Ca sera là ma seule vraie déception : tout le reste est tout aussi surprenant qu’excellent, des expressions prises par les formes plus ou moins humaines présentées à la manière dont les interprètes arrivent à se dissimuler dans l’ombre de leur alter ego. De plus, les acteurs sont très bons et la recherche sur les costumes et matériaux est remarquable. Ce fut donc un excellent moment passé dans un style assez unique dans le monde du spectacle, que je ne peux que vous recommander.
Bonjour et merci pour l’intéressant retour de notre spectacle.
Je crois pouvoir dire que l’essence du spectacle est de laisser au spectateur une grande marge imaginative, de laisser chacun voir son histoire, les enfants en particulier n’auront pas la même interprétations lorsque par exemple les violons commencent leur sérénade.
Dans la première partie toutefois la compagnie explore différents milieux tels que le monde sous-marin, le monde terrien et le monde aérien, ces ambiances sont le liens entre certains numéros.
Petit détail également, le papillon s’éclaire non pas en lumière noir mais avec de simples projecteurs (pour la petite anecdote un seul numéro utilise la lumière noir). Comme vous l’avez évoqué, la lumière est minimaliste, c’est la encore l’essence même de Mummenschanz.
Le spectacle étant évolutif, n’hésitez par à revenir nous voir prochainement près de chez vous.
Eric
Bonjour,
Merci beaucoup pour votre commentaire et désolé pour le temps que j’ai mis à le valider.
Intéressant concernant la lumière noire, j’étais persuadé qu’elle était plus utilisée !
Bonsoir,
Je viens de te lire sur le Blog du Cuk et je viens donc te faire un petit coucou…
Les Mummenschanz, je les ai vus plusieurs fois à Paris et je les ai accueillis dans le théâtre dont j’étais le régisseur général à Reims. J’en garde un merveilleux souvenir. Lorsqu’on accueille un spectacle dans sa salle, on voit l’envers du décor et tout ce qui se passe en coulisse et en l’occurence, les Mummenschanz, c’est un sacré travail.
Tu connais certainement la Compagnie Philippe Gentil, qui fait un travail proche de celui des Mummenschanz, tout en poésie et en esthétisme, mais là, il y a une histoire, un fil conducteur. Et de magnifiques musiques de René Aubry…
Bon, ben voilà un commentaire de plus.
A+
Merci pour le commentaire :) !
Je ne connaissais pas du tout la Compagnie Philippe Genty (ce qui s’explique en partie par le fait que leurs dernières dates en Suisse semblent remonter à 2011), je viens de regarder quelques vidéos de leur spectacles, ça me semble en effet très intéressant, merci pour la découverte !